THE ROYAL CANADIAN (NSTlTUTt
MÉMOIRES
DE
L'ACADEMIE DES SCIENCES
INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES
DE TOTJLOXJSIG
MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIIî DES SCIENCES
/n
INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES
DE TOULOUSE
DIXIEME SERIE. —TOME lU.
TOULOUSE
IMPRIMERIE DOULADOURE-PRIVAT
RUE SAINT-ROME, 39
1903.
/\3
S'evr -^o
AVIS ESSENTIEL
L'Académie déclare que les opinions émises dans ses Mémoires doivent, être considérées comme propres à leurs auteurs, et qu'elle entend ne leur donner aucune approbation ni impro- bation.
608434
ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADEMIE
PAR ORDRE DE NOMINATION,
OFFICIERS DE L'ACADEMIE
COMPOSANT LE BUREAU.
M. Brissaud, 4> I., professeur à la Faculté de droit, rue Matabiau, 26,
Président. M. Garrigou (Félix), |> A, chargé de cours à la Faculté de médecine
de Toulouse, Directeur. M. RoscHACH, ^,01., correspondant de l'Institut, membre non résidant
du Comité des travaux historiques et scientifiques, Secrétaire perpétuel. M. Mathias, Q I., professeur à la Faculté des sciences, Secrétaire adjoint. M. JouLiN, 0. ^, ingénieur en chef, ancien directeur de la Poudrerie de
Toulouse, Trésorier perpétuel.
ASSOCIÉS HONORAIRES.
Ms^ l'Archevêque de Toulouse.
M. le Premier Président de la Cour d'appel de Toulouse, t ni i
M. le Préfet du département de la Haute-Garonne.
M. le Recteur de l'Académie de Toulouse.
1893. M. Berthelot, G. C. ^, 0 I., membre de l'Institut, à Paris.
M. N
M. N
M. N
M.N
M. N
VllI
ASSOCIES ETRANGERS.
1869. Don Francisco de Cardenas, ancien sénateur, membre de l'Aca- démie des sciences morales et politiques, calle de Pizzaro, 12, à Madrid. 1878. Sir Joseph Dalton Hooker, ancien directeur du Jardin- Royal de botanique de Kew, associé étranger de l'Institut de France, à Londres.
M. N
M. N
AGADÉMIGIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse.
ASSOGIES LIBRES.
1859-1889. M. Ad. Baudouin, ancien archiviste du département, place des Carmes, 23.
1880-1894. M. Pradel, Q A., rue Pargaminières, 66.
1873-1896. M. Forestier, ■^, Q I., professeur honoraire au Lycée de Toulouse, rue d' Alsace-Lorraine, 36.
1886-1897. M. Moquin-Tandon, Q L, professeur à la Faculté des sciences^ allées Saint-Étienne, 4.
1854-1902. M. D. Clos, ^, # I., correspondant de l'Institut, profes- seur honoraire à la Faculté des sciences, directeur du Jardin des Plantes, allée des Zéphyrs, 2.
M. N.
ASSOGIES ORDINAIRES.
CLASSE DES SCIENCES.
PREMIÈRE SECTIOIV. — Sciences mathématiques.
MATHÉMATIQUES PURES.
1884. M. Legoux (Alphonse), Q\., professeur, ancien doyen de la Faculté des sciences, rue Raymond-IV, 19.
IX
1886. M. RouQUET (Victor), ^, p I., professeur honoraire de mathé- matiques spéciales au Lycée de Toulouse, rue Valade, 17.
1893. M. CossERAT, 41 I., professeur à la Faculté des sciences de Tou- louse, rue de Metz, 1 .
1896. M. Le Vavasseuh, professeur de mathématiques spéciales au Lycée de Toulouse, rue de la Poste, 5. M. N
MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES.
1873. M. Salles, 0. ^, Q I, ingénieur eji chef des ponts et chaussées, en retraite, rue Fermât, 3.
1885. M. Abadie-Dutemps, ingénieur des arts et manufactures, rue In- gres, 21.
1895. M. QuiNTiN, ingénieur des ponts et chaussées, à Périgueux. 1901. M. JuppoNT, ingénieur des arts et manufactures, allées Lafayetle, 55.
M. N
PHYSIQUE ET ASTRONOMIE.
1881. M. Baillaud, ^, ^ T., correspondant de l'Institut, ancien doyen de la Faculté des sciences, directeur de l'Observatoire de Toulouse.
1885. M. Sabatier (Paul), #1., correspondant de l'Institut, professeur à la Faculté des sciences, allée des Zéphirs, 11.
1896. M. Mathlxs, # L, professeur à la Faculté des sciences, place
Diipuy, 22. 1896. M. Marie, Q A., professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue de Rémusat, 11.
DEUXlEMIi: SECTION. — Sciences physiques et naturelles.
CHIMIE.
1873. M. Joulin, 0. :^, ingénieur en chef, ancien directeur de la Pou- drerie de Toulouse. 1885. M. Frébault, Il I., professeur à la Faculté de médecine, rue Peyras, 22.
X ÉTAT DES MEMBRES DE L' ACADEMIE.
1895. M. Fabre, Q \., chargé de cours à la Faculté des sciences, rue Fermât, 18. M.N
HISTOIRE NATURELLE.
1892. M. Caralp, Q I., professeur adjoint à la Faculté des sciences,
rue de Rémusat, 21 . 1897. M. Roule, Q I., professeur à la Faculté des sciences, rue
Saint-Etienne, 19.
1900. M. Neumann, ^, §, correspondant de l'Académie de médecine,
professeur à l'École vétérinaire de Toulouse, rua Riquet, 90.
1902. M. Laulanié, ^, # A., 0. §, directeur de l'Eeole vétérinaire
de Toulouse.
1903. M. Leclerc du Sablon, doyen de la Faculté des sciences, rue
du Taur, 79.
MÉDECINE ET CHIRURGIE.
1869. M. Rasset, ^ L, professeur honoraire à la Faculté de médecine, rue Peyrolières, 34.
1886. M. Parant (Victor), 4^ A., docteur en médecine, directeur de la maison de santé des aliénés, allées de Garonne, 17.
1888. M. MAUREL(Edouard), 0. ^, || A., professeur agrégé à la Faculté de médecine, rue d'Alsace-Lorraine, 10.
1891 . M. Garrigou (Félix), ^ A., chargé de cours à la Faculté de méde- cine, rue Valade, 38.
1901. M. Geschwind, 0. ^, directeur du service de santé du 17^ corps
d'armée, allée des Demoiselles, 29.
CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
1865. M. RoscHACH, ^, ||L, correspondant de l'Institut, membre non
résidant du Comité des travaux historiques et scientifiques, rue
des Récollets, 103. 1880. M, Hallberg, ^, ^ L, if, professeur à la Faculté des lettres.
Grande- Allée, 22. 1884. M. Paget (Joseph), !j^, ^ L, ancien doyen de la Faculté de droit,
allées Lafayette, 56. 1884. M. DuMÉRiL (Henri), ^ L, bibliothécaire honoraire de l'Université,
professeur adjoint à la Faculté des lettres, rue Montaudran, 80.
XI
1886. M. Antoine (Ferdinand), iy^ I., professeur à la Faculté des lettres,
allées Lafayette, 44. 1886. M. Lapierre (Eugène), ^ I., bibliothécaire honoraire de la ville,
rue des Fleurs, 18.
1889. M. Brissaud, 01., professeur à la Faculté de droit, rue Mata-
biau, 26.
1890. M. LÉCRivAiN, Q I., professeur à la Faculté des lettres, rue
des Chalets, 37.
1890. M. Crouzel (Jacques), U I., bibliothécaire de la Bibliothèque uni-
versitaire, rue des Trente-six-Ponts, 82,
1891. M. Massif (Maurice), Q I., bibliothécaire de la ville, rue de la
Pomme, 30. 1894. M. le baron Desazars de Montgailhard, rue Merlane, 5. 1897. M. Deloume (Antonin), ^, #1., doyen de la Faculté de droit,
place Lafayette, 4. 1899. M. Pasquier, 0 I., archiviste du département, rue Saint-Antoine-
du-T, 6. 1899. M. Cartailhac, ^, #1., correspondant de l'Institut et du Ministère
de l'Instruction publique, rue de la Chaîne, 5. 1901. M. de Santi, *^, médecin-major de l''^ classe à l'Hôpital militaire,
à Bayonne. 1903. M. F. Dumas, professeur à la Faculté des lettres, Porte-Montgail-
hard, 6.
COMITÉ DE LIBRAIRIE ET D'IMPRESSION
1902. M. JuppoNT.
— M. Roule.
— M. Massip.
1902. M. Legoux.
— M. Parant.
— M. Cartailhac.
1903. M. Baillaud.
— M. Maurel.
— M. LÉCRIVAIN.
COMITE ECONOMIQUE.
1903. M. Cosserat.
— M. Laulanié.
— M. Paget.
BIBLIOTHECAIRE.
M. le baron Desazars de Montgailhard (nomination de 1902).
ÉCONOME.
M. Cartailhac.
XII ÉTAT DES MEMBRES DE L' ACADEMIE.
ASSOCIES CORRESPONDANTS.
Anciens membres titulaires devenus associés correspondants.
CLASSE DES SCIENCES.
1874. M. LÉAUTÉ, 0. ^, membre de l'Institut, ingénieur des manufac- tures de l'État, boulevard Malesherbes, 141, à Paris.
1895. M. d'Ardenne, docteur en médecine, à Malirat par Villefranche-
de-Rouergue (Aveyron). 1900. M. Maillet, ingénieur des ponts et chaussées, répétiteur à l'École polytechnique, 11, rue Fontenay, à Bourg-la- Reine. (Seine-et-Oise).
CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
1878. M. LouBERS (Henri), ^, avocat général à la Cour de cassation, rue
Cassette, 27, à Paris.
1879. M. Brédif, ^, #1., recteur honoraire de l'Académie de Besaqçon. 1881. M. CoMPAYRÉ, 0. ^, |> I., recteur de l'Académie de Lyon, rue
Cavenne, 30. 1889. M. Thomas, || L, professeur à la Faculté des lettres, 10, rue Léopold-Robert, à Paris.
1896. M. Fabreguettes, 0. ^, conseiller à la Cour de cassation, rue Ri-
cheHeu, 85, à Paris. 1898. Msf Douais, #1., évêque de Beauvais.
ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE. XIII
CORRESPONDANTS NATIONAUX.
CLASSE DES SCIENCES.
1843. M. Robinet, professeur, rue de l'Abbaye-Saint-Germain, 3, à Paris.
1844. M. Payan (Scipion), docteur en médecine, à Aix (Bouches- du-
Rhône).
1848. M. BoNJEAN, pharmacien, ancien président du Tribunal de com-
merce, à Chambéry (Savoie).
1849. M. HÉRARD (Hippolyte), ^, docteur-médecin, rue Grange-Bate-
lière, 24, à Paris.
1850. M. Beaupoil, docteur en médecine, rue de l'Association, 4, à
Châtellerault (Vienne). 1853. M. Liais, astronome à Cherbourg. 1855. M. Moretin, docteur en médecine, rue de Rivoli, 68, à Paris.
1857. M. Le Jolis, décoré de plusieurs Ordres, archiviste perpétuel de la
Société des scienc. natur , rue de la Duché, 29, à Cherbourg.
1858. M. Giraud-Teulon (Félix), ^, docteur en médecine, rue d'Edim-
bourg, 1, à Paris.
1861 . M. NoGuÈs, ingénieur civil des mines, professeur de physique indus- trielle à l'Université de Santiago (Chili).
1861. M. Delore, ex-chirurgien en chef désigné de la Charité, professeur adjoint d'accouchements à la Faculté de médecine, place Belle- cour, 31, à Lyon.
1861 . M. Rascol, docteur en médecine, à Murât (Tarn).
1872. M. Chauveau, 0. -î^, inspecteur général des Ecoles vétérinaires , membre de l'Institut, avenue Jules-Janin, 10, Paris-Passy.
1872. iM. Arloing, 0. ^, directeur de l'École vétérinaire, à Lyon.
1876- M. Védrenes, C. ^, inspecteur du service de santé en retraite, quai de la Guillotière, 12, à Lyon.
1880. M. Bastié (Maurice), docteur en médecine, à Graulhet (Tarn).
1888. M. Bel (Jules), botaniste, à Saint-Sulpice-de-La-Pointe (Tarn).
1888. M. SiCARD, docteur en médecine, avenue de la République, 1, à Béziers (Hérault).
1890. M. Bouillet, docteur en médecine, place Capus, 1, à Béziers (Hérault).
XIV ÉTAT DES MEMBRES DE l' ACADÉMIE.
1891 . M. WiLLOTTE (Henri), ^, ingénieur en chef des ponts et chaussées, lauréat de l'Académie, rue de Brest, 6, à Quimper (Finistère).
1898. M. ScHLAGDENHAUFFEN, directeur de l'École supérieure de phar- macie, rue de Metz, 63, à Nancy.
1898. M. E. Reeb, pharmacien, rue Sainte-Odille, 6, à Strashourg.
1898. M. Debeaux, médecin principal de l'armée, en retraite, rue Saint- Lazare, 28, Toulouse.
1901. M. Emile Belloc, chargé de missions scientifiques au Ministère de l'Instruction publique, rue de Rennes, 105, à Paris.
CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
1848. M. Tempier, avoué près le Tribunal civil, à Marseille.
4855. M. DE Barthélémy, chevalier de plusieurs Ordres étrangers, ancien
auditeur au Conseil d'État, rue de l'Université, 80, à Paris. 1863. M. Rossignol, homme de lettres, à Montans, par Gaillac (Tarn). 1865. M. GuiBAL, ^,4|^L, doyen honoraire de la Faculté des lettres, à Aix. 1872. Dom du Bourg (Antoine), religieux bénédictin, à Paris. 1875. M. Serret (Jules), avocat, homme de lettres, rue Jacquart, 1, à
Agen. 1879. M. de Dubor (Georges), attaché à la Bibliothèque nationale, place
de Valois, 5, à Paris.
1881 . M. Chevalier (Ulysse), ^, ^ L, chanoine honoraire, à Romans
(Drôme).
1882. M. l'abbé Larrieu, ancien missionnaire apostolique en Chine, mem-
bre de plusieurs Sociétés savantes, curé à Montbardon, par Saint-Blancard (Gers).
1882. M. Tardieu (A.), Officier et Chevalier de plusieurs Ordres étran-
gers, membre de plusieurs Sociétés savantes, etc., à Herment (Puy-de-Dôme).
1883. M. Cabié (E.), à Roqueserrière , par Montastruc (Haute-Garonne). 1885. M. Espérandieu (E.-J.), ^, * , ^ L, correspondant de rinslitut,
capitaine d'infanterie, 59, route de Claniart,àVanves (Seine). 1887. M. le marquis de Croizier, ^, OL, président de la Société académique indo-chinoise de France, grand'croix du Christ du Portugal et grand - officier de plusieurs ordres étrangers, boulevard de la Saussaie, 10, parc de Neuilly, à Paris.
ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE. XV
1887. M. Antonin Soucaille, président de la Société archéologique, scien-
tifique et littéraire, avenue Saint-Pierre, 1, à Béziers (Hérault).
1888. M. Ed. FoRESTiÉ, archiviste de l'Académie des sciences, lettres
et arts de Tarn-et-Garonne, rue de la République, 23, à Montauban.
1891. M. H. -P. Cazac, Q I., G. >î<, 0. ^, >{<, de l'Académie de Màcon, ancien vice-président de la Société académique des Hautes-Pyrénées, proviseur du Lycée de Rayonne (Rasses- Pyrénées).
1901. M. Rarrière-Flavy, ^ A., membre de plusieurs Sociétés sa- vantes, homme de lettres, au château de Puydaniel, par Auterive (Haute-Garonne).
CORRESPONDANTS ETRANGERS.
CLASSE DES SCIENCES.
1856. M. Paque (A.), professeur de mathématiques à l'Athénée royal ij
Liège (Relgique), rue de Grétry, 65. 1871. M. Rellucci (Giuseppe), docteur en histoire naturelle, professeur
de chimie à l'Université de Perugia (Italie). 1897. M. Cabreira (Antonio), ^, membre de l'Académie royale des
sciences de Lisbonne et de l'Institut de Coïmbra, 36, rua da
Alegria, Lisbonne. 1899. M. PiLTSCHiKOFF (Nicolas), professeur de physique à l'Université
d'Odessa.
CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
1859. M. Levy Maria Jordao, avocat général à la Cour de cassation du Portugal, à Lisbonne,
XVI ETAT DES MEMBRES DE L ACADEMIE.
NECROLOGE
(au 15 NOVEMBRE 1903.)
ASSOCIÉS ORDINAIRES.
M. Destrem, Q I, professeur à la Faculté des sciences, M. Fontes, 0. ^, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
ASSOCIÉS CORRESPONDANTS. M. Marvaud, 0. ^s médecin-inspecteur de l'armée, à Bordeaux.
MÉMOIRES
L'ACADÉMIE DES SCIENCES
INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
DE TOULOUSE
UN SOUVENIR D'INGRES
JEAN BRIANT
(1760-1799) Par M. HOSOHACHi
Si l'usage des doubles titres, cher à nos pères, surtout à nos pères vaudevillistes, n'était pas aujourd'hui affreusement suranné, il faudrait intituler la courte notice que j'ai l'hon- neur de présenter à l'Académie le peintre supprimé ou les entraînements de l'esprit critique. Il s'agit, en effet, d'un artiste obscur et probablement digne de l'être, mais ayant joué un rôle officiel et rendu quelques services, dont l'exis- tence a été niée ou tout au moins déclarée hypothétique et absolument invraisemblable, comme si le personnage ne de- vait son origine qu'à une confusion de noms et à un dédou- blement d'individu.
L'aventure est courante pour les Pharaons et les monar- ques d'Assyrie, tout à fait normale pour les dieux du poly- théisme : les saints de l'ère chrétienne n'y ont pas échappé et la revision des listes d'évêques en donne chaque jour de nouveaux exemples. Mais ces rectifications, ces suppressions
1. Lu dans la séance du 27 novembre 1902.
10e SÉRIE. — TOME III. 1
2 MÉMOIRES.
d'état ne se rapportent d'habitude qu'à des époques loin- taines et nébuleuses où l'imprécision des renseignements autorise tous les scepticismes et justifie toutes les sévérités. Le phénomène est beaucoup plus imprévu pour un contem- porain de la prise de la Bastille et de la bataille de Rivoli.
Bien que né à Montauban, Ingres était, comme on sait, originaire de Toulouse, et c'est là qu'il a fait ses premières études, suivant les cours de dessin et de peinture organisés par l'Académie royale, dont son père était membre, en qua- lité de dessinateur, depuis 1790. Arrivé à la gloire, le pein- tre de la Source et de l'Apothéose d'Homère conservait de ses initiateurs un souvenir reconnaissant. Il parlait, avec une préférence justifiée, d'un homme vraiment supérieur, Roques, artiste brillamment doué, dont la franchise, la dis- tinction, l'élégance, le style tranchaient avec éclat sur la banalité décorative des traditions locales et qui se serait fait sans contredit une place considérable dans l'École française, si la facilité de son pinceau, ses rapides succès de portrai- tiste, l'aisance large qui en résulta et le nonchaloir de la vie méridionale lui avaient permis de fournir la carrière que ses aptitudes semblaient promettre. Ingres a rendu lui- même un témoignage singulièrement précieux de l'influence de Roques sur son talent. Il l'appelait « son maître, son vé- ritable maître, le créateur de ce que les autres n'ont fait que développera »
A un rang inférieur, Ingres citait un autre peintre fixé à Toulouse à la même époque, dans l'atelier duquel il a fait quelque séjour. « Mon père, disait-il, me fit entrer chez Briant, paysagiste, qui, au milieu de l'affreux vandalisme de 1793, sauva tant d'objets d'art dont il forma le musée des Grands- Augustins^. » M. Henri Delaborde nous apprend, dans sa biographie du maître, que ce Briant fut un des trois artistes dont la famille d'Ingres demanda la consulta- tion avant de permettre au jeune homme de se vouer défini-
1. Jules Buisson, Ingres. {Revue de Toulouse, XXV, p. 287.)
2. Lettre à M. Forestié, Bibliographie de Tarn-et-G aronne, p. 268.
JEAN BRIANT. S
tivement à la peinture. « Ce nouveau patron, dit-il, Briant, n'était pas, à ce qu'il paraît, dépourvu de goût personnel et de zèle; mais, à l'égard d'autrui, il manquait assurément de clairvoyance, puisqu'il crut démêler chez le débutant des dispositions pour la peinture de paysage beaucoup plus significatives que ses aptitudes à traiter la figure ^ »
A la suite des royales libéralités faites par Ingres à sa ville natale et à l'occasion de la formation du beau musée qui porte son nom, les littérateurs du Quercy ont pris un intérêt très légitime à la biographie de l'illustre bienfaiteur et à tous les épisodes de sa vie. C'est à ce propos que la cri- tique s'est occupée de Briant.
La critique est une dame exigeante et minutieuse, parti- <iulièrement redoutable, quand elle s'éclaire au flambeau de l'archéologie. Par définition, l'archéologue est peu porté aux explications simples. La tendance naturelle de son esprit l'incline aux solutions rares et imprévues. 11 s'est rencontré qu'avant Ingres personne n'avait parlé d'un Briant arrachant des objets d'art à l'affreux vandalisme de 93. Le fait était assez important pour que ce silence parût étrange; la cri- tique a vu là un problème original et s'est mise à l'étudier en s'aidant de tous les instruments raffinés qu'emploie la mé- thode scientifique. Le malheur est que cette étude a été trop savante. Au lieu de supposer que l'obscurité de l'artiste pou- vait provenir d'une fin prématurée, de l'indifférence, de l'oubli ou de l'injustice des contemporains, on a cherché des explications plus subtiles, et le dernier mot de cette sub- tilité a été de conclure que, selon toute vraisemblance, il n'avait jamais existé de Briant.
La fatalité veut qu'un associé artiste de l'Académie de peinture de Toulouse, nommé Bertrand, ait proposé, le 30 décembre 1792, dans une des dernières séances de cette compagnie, la formation d'un musée avec les œuvres d'art confisquées par les lois nouvelles, et que ce Bertrand, pein- tre de mérite, ait fait partie quelques années plus tard, avej
A. DeÏBhovdQy Ingres y 1^.20.
4 MEMOIRES .
Lucas, Virebent et Vigan, d'une commission administrative du Musée. Le rapprochement de ces deux noms, Bertrand, Briant, a paru un trait de lumière, et là-dessus la méthode scientifique a donné carrière à ses inductions.
« Ouvrez la bouche », comme disait le maître de gram- maire de M. Jourdain. Bri-ant, Ber-trand, deux émis- sions de voix, deux syllabes. Mêmes initiales, même asso- nance finale, même nombre de voyelles; en tête, la même consonne labiale b; en queue, la même nasale n et deux dentales équivalentes, d, t; Ber c'est Bre, une métathèse, phénomène courant, et Bre c'est Bri, Le nom de Bertrand est d'origine germanique. Pourquoi la rude prononciation de l'homme du nord ne se serait-elle pas adoucie au contact des mollesses latines? Ajoutez que la physionomie gra- phique des deux noms a de grandes ressemblances, sauf deux caractères en plus ou eii moins.
Donc, il n'y a pas eu de Briant; il n'y a qu'un Bertrand cru Briant ou un Briant dédoublé de Bertrand, comme Sé- sostris de Ramsès. Si Ingres a écrit Briant dans sa lettre à M. Forestié, c'est qu'il était avancé en âge et que sa mé- moire commençait à le trahir. Méprise de vieillard. L'effort constaté de Bertrand pour arracher des œuvres d'art au van- dalisme s'accorde ainsi avec les données de la phonétique et de la graphie pour démontrer l'identité du personnage.
Une mémoire aussi négligée que celle de Briant n'était pas de taille à triompher de cette redoutable coalition. Mal- gré les témoignages d'Ingres, d'Henri Delaborde, de Charles Blanc, la méthode scientifique le raie du nombre des vivants et le relègue dans ces limbes mélancoliques où errent les fantômes créés par l'imagination des hommes.
Pourtant il a vécu, -il a peint, il a écrit; il a fait gémir la presse, il a étalé sa prose dans les journaux ; il l'a, dans une circonstance mémorable, communiquée aux populations sous la forme privilégiée de l'affiche blanche. Des documents nombreux, disséminés dans plusieurs dépôts publics, relè- vent Ingres du soupçon de radotage sénile et Briant du re- proche de suppression d'état. Il n'a volé à Bertrand ni son
• JEAN BRIANT. 5
nom ni son rôle : il a possédé un état civil régulier, un domicile, des fonctions, une famille, tout ce "qui caractérise une personne naturelle. Il convient donc de lui restituer sa réalité et de l'évoquer des ténèbres du néant, a porta inferi. Nous n'avons pas la prétention de réclamer pour lui une place au panthéon des « dieux et des demi-dieux de la pein- ture », le peu d'importance de son œuvre l'en exclut; mais comme il a pris une part active à la création et à l'organi- sation d'un des plus anciens musées de province et qu'il a l'honneur de compter parmi les maîtres d'Ingres, nous avons cru pouvoir, sans irrévérence, convier l'Académie à sa mo- deste résurrection. Voici quelques précisions sur la carrière du personnage : Jean Briant est né à Bordeaux, au cœur de la vieille ville, le 3 février 1760, entre trois et quatre heures de l'après- midi. Le lendemain, il fut baptisé par un vicaire de l'église cathédrale Saint-André. Son père, qui portait le même pré- nom que lui, était ferblantier; sa mère s'appelait Marie Buffet et était originaire de la paroisse Saint-Projet ^ Nous ignorons par suile de quelles circonstances une vocation d'artiste put se développer au sein de ce ménage d'artisans. Huit ans après la naissance de l'enfant, une Académie de peinture se créait à Bordeaux, prenant la succession de l'an- cienne école de dessin fondée sous Louis XIV, établissait des cours réguliers de beaux-arts et organisait tous les deux ans des expositions publiques de tableaux, de dessins et de sculptures. En 1774, le Bordelais Pierre Lacour, peintre, graveur et littérateur, élève de Vien, revenait se fixer dans sa ville natale, après un séjour en Italie, et entrait à vingt- neuf ans à la nouvelle Académie en qualité de professeur.
1. Baptême de Jean Briant. — « Du lundy quatrième février mil sept cent soixante, a été baptisé Jean, fils légitime de Jean Brian, ferblantier, et de Marie Buffet, paroisse Saint-Projet.
« Parrain : Jean Buffet. — Marreine : Marie Chaban.
« Naquit hyer au soir, entre trois et quatre. [Signé au registre :] Briant père ; Bergey, vicaire. » (Arch. mun. de Bordeaux, série GG. Paroisse Saint-André, reg. 102, acte 115.)
6 MÉMOIRES.
C'est dans son atelier que le jeune Briant fil ses premières études de peinture, avec Alaux, Bergeret, Monvoisin et quel- ques autres artistes qui ont laissé un nom. A l'exemple d'un grand nombre de peintres contemporains, Briant prolongea son pèlerinage au delà des Alpes et travailla quelque temps en Italie où il avait accompagné les architectes Mons de rile-Ferme et Godefroy Bousin. Il s'était voué au paysage et subissait, comme tant d'autres, la fascination des sites con- sacrés de la campagne romaine.
La ville de Bordeaux a acheté en 1846, pour son musée, un tableau de Briant, souvenir de Tivoli, qui se rattache évidemment à cette période ^ C'est un paysage de moyenne dimension (60 sur 45 cent.), qui a beaucoup poussé au noir, à cause de l'abus des tons de bitume. L"'interprétation de la nature y est conventionnelle et de tradition purement clas- sique. A droite, couronné des ruines d'un vaste édifice, un massif rocheux d'où se précipite une cascade, surplombe la vallée sillonnée d'un cours d'eau que franchit l'arche unique d'un vieux pont; un rideau de collines boisées ferme l'ho- rizon, dominé par la silhouette fuyante d'une montagne. Dans le bas, à gauche, se montre un groupe de trois bai- gneuses (figures de 6 centimètres).
C'est pendant la période aiguë de la Révolution que Jean Briant, jusqu'alors adonné à la peinture apaisante du pay- sage, devint fonctionnaire public. Sa commission, datée du 27 pluviôse an II (13 février 1794), est signée d'un nom asso- cié à des souvenirs tragiques, celui d'un lieutenant de Robespierre, hébertiste fougueux, le député des Landes Dartigoeyte, missionnaire de la Convention dans le Midi. Elle est ainsi libellée :
« Dartigoeyte, représentant du peuple dans les départe- ments de Gers et Haute-Garonne. Après avoir pris des renseignements et nous être concerté avec l'agent national
: 1. Nous devons de précieuses indications sur cette première partie de la vie du peintre à l'obligeance très informée de M. Jean Gabrit, conservateur du Musée de peinture de Bordeaux.
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près le district de Toulouse sur les principes et les talents du citoyen Briant,
« Arrête que le citoyen Briant est nommé commissaire- inspecteur pour tous les objets d'art dans le département de Haute-Garonne. En conséquence, il demeure chargé de la surveillance générale du Muséum qui doit être formé dans ledit département, ainsi que de se transporter partout où il croira convenable, pour y recueillir les tableaux et monu- ments précieux qu'il croira devoir être conservés et placés dans ce Muséum. »
Le Musée de Toulouse, dont l'institution éfait toute récente, n'existait encore que sur le papier. Objet de vœux platoniques de l'Académie . royale de peinture supprimée depuis quelques mois, recommandé à la Société populaire par le « sans-culotte Lucas », — Je^n-Paul Lucas, frère cadet du sculpteur et du professeur de ladite Académie, dans un long mémoire où ce peintre obscur, énumérant les titres de la ville de Toulouse à la possession d'un établisse- ment de cette nature, — son goût pour les arts, son peu de ressources pour l'entretien d'une grande population, — rap- pelait habilement qu'elle avait « repoussé avec horreur et indignation le fédéralisme tramé par des âmes de boue dignes des plus grands mépris^ », le Musée avait été créé en principe par le Directoire du département le 19 décem- bre 1793, et pourvu, le 11 janvier suivant, par arrêté du représentant du peuple Paganel, d'un « démonstrateur » et d'un conservateur, en la personne du même Jean-Paul Lucas et de François-César Derome, professeur semestriel des principes du dessin aux écoles de l'Académie.
1. Tout en flétrissant le fédéralisme et en flattant « les Parisiens que nous chérissons et auxquels nous devons notre existence répu- blicaine par leur constance et leur fermeté », Lucas cherchait à res- tituer à Toulouse une nouvelle prééminence provinciale, en y faisant concentrer les tableaux des églises supprimées et autres dans les départements qui formaient la circonscription du Lycée, et en récla- mant même une part des tableaux du chœur de Notre-Dame de Paris « qui ne se voient presque point », du Rubens de la galerie du Luxembourg et des belles copies du garde-meubles.
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Le 17 février suivant, Briant fut introduit dans la salle des délibérations du département où siégeaient sept admi- nistrateurs, remit entre leurs mains la commission du représentant du peuple qui le nommait : « Commissaire inspecteur pour tout ce qui concerne les arts dans le dépar- tement de la Haute-Garonne » sollicitant l'enregistrement de cette pièce et l'autorisation de prêter serment. L'Assem- blée délibéra aussitôt que la pièce serait enregistrée, et le président Guiringaud prononça la formule réglementaire :
« Vous reconnaissez la République une et indivisible. Vous jurez de respecter la sûreté et la propriété des person- nes et de remplir avec fidélité et exactitude les fonctions qui vous sont confiées. »
Briant répondit : « Je le jure. >
Telle fut son entrée dans le monde officiel*.
Si l'on devait prendre à la lettre le certificat d'orthodoxie politique décerné à Briant dans sa commission, il faudrait le compter au nombre des révolutionnaires ardents, car la date de sa nomination coïncide avec la plus sinistre époque de la terreur et son introducteur à la vie publique a laissé en Gascogne une mémoire sanglante ; mais on verra par la suite que l'atmosphère ambiante exerçait sur les convictions du paysagiste bordelais une influence tout à fait décisive.
Aux termes de sa commission, l'Inspecteur départemental avait à Toulouse une double tâche : concentrer les objets d'art dignes d'attention que les décisions de l'Assemblée nationale et les lois révolutionnaires avaient fait saisir et secfuestrer sur tous les points du département et diriger l'installation d'un Musée. Cette tâche se difl'érenciait du mandat précédemment donné à Lucas et à Derome, en ce qu'elle attribuait au commissaire des droits étendus sur un territoire considérable, en dehors de l'enceinte de Toulouse.
Certes, si les prescriptions des législateurs de 1790 avaient été fidèlement exécutées, ce territoire pouvait four-
1. Séance du 29 pluviôse an IL Présents : Guiringaud, président; Picquié, Delherm, Sambat, Blanc, Lafont et Sartor, administrateurs.
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nir à l'ancienne capitale de la province les éléments d'une riche collection. Malgré les dévastations commises par les bandes huguenotes du seizième siècle, il restait encore, au moment de la mainmise sur les biens ecclésiastiques, beau- coup de tableaux et de sculptures dans les nombreux bâti- ments religieux de Toulouse, dans les hôtels d'émigrés et de condamnés politiques, les abbayes supprimées de Bonnefont, de Grandselve, de Belleperche, de Boulbonne, les évêchés de Rieux et de Saint-Papoul. Mais les intérêts de l'art et de l'instruction publique, platoniquement recommandés par les vagues déclarations de l'Assemblée nationale, étaient bien le dernier souci des personnages turbulents aux mains de qui les hasards de la politique avaient fait passer l'autorité dans la plupart des communes, et cette énorme liquidation avait entraîné des dilapidations et des destructions irréparables.
Il fut accordé à Briant, dans les bâtiments conventuels des Augustins, une chambre située au-dessus de la loge du portier dans le petit cloître, chambre qui lui servit de salon, et un atelier. Salon et atelier furent très économiquement meublés et décorés d'objets nationaux, enlevés des maisons de condamnés politiques et d'émigrés. La table venait de chez Gassan Rabaudy, le devant de cheminée, figurant une décoration de théâtre, de chez l'abbé d'Aspe, deux attiques de bambochades et une Vierge et l'enfant, de la maison de Thézan. Dans l'atelier, on voyait une esquisse de Restout, Philemon et Baucis, prise chez M""® de Timbrune-Yalence < la veuve Valence », mère de l'émigré ; un tableau de brigands de Fergusson, à M. de Gambolas ; des petits sujets de Peyron, au cardinal de Bernis, et un très grand nombre de gravures, montées ou en feuilles, qui avaient été recueil- lies chez MM. Berger, de Gaumels, Azam, d'Aufrery, de Gatelan, de Maurens, de La font, de Maurens, de Vaillac, du président de Sapte, tout un portefeuille de la collection du conseiller d'Aussaguel de Lasbordes, guillotiné à Paris avec les autres membres de la Chambre des vacations.
C'est dans cet atelier que fut introduit le jeune Ingres, déjà élève de Roques et de Vigan, par son père, sculpteur,
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miniaturiste et musicien, qui s'était fixé et marié à Montau- ban depuis une quinzaine d'années, mais qui demeurait en relation avec tous les artistes de Toulouse, ses amis d'en- fance, et qui, suivant l'expression de son fils, venait sou- vent « se retremper, pour ainsi dire, dans cette grande et belle ville, presque aussi riche alors en monuments d'art que Rome, à laquelle elle ressemblait ^ »
Les grandes battues dans les églises de Toulouse eurent lieu du 18 au 27 mars 1794. Briant s'y transportait en com pagnie du commissaire du district, nommé Lamarque, d'un citoyen Barateau qui l'assistait, d'un greffier d'office, Pele- tan jeune, et de quelques ouvriers chargés de décrocher les tableaux. 11 signait les procès- verbaux d'enlèvement avec ses trois coopérateurs.
Les journées des 18 et 19 mars furent employées à dépouiller la cathédrale Saint-Étienne, alors transformée en Temple de la Raison. On y recueillit, outre les tableaux qui en décoraient les murs avant la Révolution, de nom- breuses toiles provenant des chapelles supprimées des Péni- tents blancs, des Pénitents noirs et des Pénitents gris.
Le 21, on s'attaqua à la Maison commune, traitée comme une simple église, et l'on en retira le Christ et la Vierge aux prisonniers, de Ghalette, et tous les tableaux de l'an- cienne galerie de peintures historiques, le Goypel, le Bon Boulogne, le Jouvenet, les Rivais, sauf la Fondation d'Ancyre, plus le Sacre d'un tyran, par Subleyras.
Les 22 et 23, expédition aux Pénitents blancs, d'où l'on enlève encore quinze tableaux; le 24, évacuation des Carmé- lites; le 25, on va chercher à la Daurade la grande page des Noces de Gana, de Despax, et la Descente de Croix, de Daniel de Yolterra; les 26 et 27, on vide l'ancienne église des Garmes-Déchaussés, devenue paroisse Saint-Exupère.
Successivement, toutes les églises, tous les couvents, tous les oratoires sont explorés, et les peintures, bonnes et mau-
1. Lettre de M. Ingres à M. E. Forestié, Biographie de Tarn- et-Garonne, Montauban, 1860, p. 268.
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vaises, vont s'engouffrer dans le dépôt de concentration des Augustins.
Les principales expéditions faites par Briant hors de Tou- louse, sur le territoire du département, furent celles dé Beauinont-de-Lomagne, de Pornpignan , de Lévignac , de Gastelsarrasin, deRieux.
A Lévignac, le comte Jean Dubarry, frère de la favorite, ancien colonel de la garde nationale de Toulouse, guillotiné sur la place de THôtel-de-Ville, avait laissé une maison fort élégamment décorée dont les appartements contenaient quelques-unes des toiles de sa riche collection. Briant s'y transporta le 25 avril 1794, en compagnie de Pierre-Antoine Toulza, administrateur du district. Sur leur réquisition, la municipalité désigna un commissaire pour les introduire dans la maison du Barry dont il leur ouvrit les portes. Briant la visita de fond en comble et se saisit de dix-neuf tableaux et de quelques sculptures dont il ordonna le trans- port à Toulouse. Parmi les tableaux, son rapport signale un A.rria et Fœtus, une Charité romaine, plusieurs portraits de famille par Bertier, deux ovales, copie de Gros, quatre paysages de l'école flamande, une Sainte-Famille , copie d'après Raphaël, huit petites gouaches représentant des vues de Naples; parmi les sculptures, une statue éques- tre de Marc-Aurèle en bronze, une tête d'enfant en marbre blanc, quatre vases d'albâtre avec leur garniture en bronze doré et leurs piédestaux de stuc en forme de colonne, deux autres petits vases d'albâtre blanc montés en bronze.
Le 8 septembre 1794, Briant alla prendre livraison de neuf tableaux dans la commune de Pompignan. Il y avait été précédé cinq jours plutôt par Lucas, chargé de préparer la négociation. Celui-ci, en rendant compte au département de ses premières tentatives, témoigna des dispositions con- ciliantes de la municipalité* Conduit immédiatement au Temple de la Raison, ci-devant église paroissiale, il vit qu'on avait eu la prévenance de faire décrocher tous les tableaux. Lucas ajoutait : « La municipalité, qui va bien dans le sens de la Révolution, ne désire autre chose que de
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se voir débarrassée de tout ce qui peut avoir servi au fana- tisme et à l'engraissement des prêtres. » Cette commune poussait si loin la haine des tyrans que, malgré Tétymologie antique de son nom, héritage incontestable d'un domaine gallo-romain, elle n'avait pu en supporter les deux syllabes finales pignan, pouvant, par une analogie compromettante avec pignon, suggérer des idées de féodalité et s'était fait patriotiquement rebaptiser Pont-la-Montagne.
Voici les trophées conquis par Briant dans cette cam- pagne :
Quatre tableaux d'histoire sainte de grandeur colossale, ayant près de quinze pieds de haut sur sept de large, dont deux représentant la Naissance du Christ, l'autre la Résur- rection et le quatrième la Descente aux limbes, < tableaux finis > ;
Deux tableaux de quatre pieds six pouces de haut éur trois et demi représentant la Chananéenne aux pieds de Jésus et la Descente de croix ;
Deux autres tableaux de six pieds ou environ, dont l'un représentait la Mort de saint Joseph ; Briant refusa de dési- gner l'autre, « le reconnaissant cependant d'un prix infini » ;
Une autre toile de six pieds de haut sur quatre de large, représentant l'Apparition de Jésus-Christ à saint Thomas;
Quatre piédestaux en buis sculpté et peint, partie bleu de ciel et couleur de rose, un petit bas-relief en cuivre doré et deux médaillons ovales en bronze doré, saint Pierre et saint Paul « le tout d'un ouvrage et travail inestimable. » Mal- gré la pureté de son civisme, la municipalité prit la pré- caution assez intéressante de faire inscrire au procès-verbal de livraison ces mots d'une sage prévoyance : « Lesquels effets seront toujours faciles à être reconnus par les citoyens de la commune. »
Le 18 décembre 1794, Briant se plaignait à l'agent natio- nal du district|des conditions défavorables où se trouvaient les œuvres d'art confiées à ses soins :
« Je n'ai jusqu'ici, disait-il, rien négligé pour leur con- servation; mais comme en ce moment la majeure partie des
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grands tableaux n'a d'autre asile que le cloître, toute ma vigilance ne peut prévenir les détériorations dont les me- nace la rigueur de la saison >.
Il ajoutait que le vaste couvent des Augustins offrait nom- bre d'emplacements plus convenables et demandait que l'ingénieur Gourtalon, déjà désigné pour les travaux d'amé- nagement du Musée, fît une vérification immédiate des locaux.
En attendant une solution, il faisait appel à l'humanité du district pour ne pas demeurer sans feu dans un lieu exposé à tous les vents où les nécessités du service l'obligeaient à passer de longues heures. « J'ai à te prier, citoyen agent national, de me faire obtenir une pagelle de bois dont j'ai un besoin indispensable et que je n'ai pu me procurer, quelques soins que je me sois donnée »
La vaste toile d'Antoine Rivalz, la Fondation d'Ancyre, occupait encore en 1795, au fond de la galerie de peinture de l'hôtel de ville, la place pour laquelle elle avait été faite en 1705, d'après la fresque primitive de Jean-Pierre Rivalz (1682). Les dimensions de ce tableau, sa valeur décorative, l'éclat de son coloris, inspirèrent à Briant un vif désir de l'installer au Musée. Il présenta sa requête au département qui, le 18 avril 1795, demanda l'avis de la municipalité. La question, débattue au Conseil général de la commune le même jour, donna lieu à une délibération négative. Les ar- guments donnés par les représentants de la ville étaient fort sages. Ils objectaient d'abord que les hôtels de ville n'étaient pas des établissements supprimés et n'avaient au- cune raison de se voir privés de leurs propriétés; que les œuvres d'art en relevaient la dignité et y faisaient leur office d'enseignement public aussi bien que dans un Musée; que l'œuvre de Rivalz avait été composée expressément pour former la perspective de la galerie, que cette galerie n'étant fermée que d'une grille de fer, le tableau y était visible à toute heure du jour.
1. Archives de la Haute-Garonne, 359.
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Le maire J. Cames résuma le 21 avril suivant, dans une lettre très nette au Directoire du district, les justes motifs de refus.
<c Ce monument précieux, écrivait-il, fut toujours et ne peut cesser d'être une propriété adhérente au bâtiment de cette commune qui s'oppose fortement à ce qu'il lui soit ravi... Ici, comme au Musœum, il fait chaque jour l'admi- ration des connaisseurs; ici, comme au Musœum, il est reli- gieusement conservé et soigné. Encore une fois, c'est une propriété adhérente à ce bâtiment. Les dimensions de ce ta- bleau sont aussi telles que, hors de la place qu'il occupe et pour laquelle il a été fait, il perdroit évidemment la moitié de son excellence ^ »
Habitué à ne pas souffrir de contradiction dans ses reven- dications, Briant avait escompté le consentement de la mu-- nicipalité et s'était hâté de faire percer une haute ouverture dans la muraille de l'église des Augustins pour y intrnduire sa conquête. Arrêté dans ses projets par l'opposition de la ville, il porta ses doléances au département, fit valoir les désirs du Comité de l'Instruction publique et, en attendant les décisions de l'autorité supérieure, sollicita la pose d'un factionnaire devant la brèche qu'il avait prématurément pratiquée. L'aifaire demeura plusieurs années en suspens et quand arriva du ministère une décision conforme aux espé- rances du bouillant inspecteur, celui-ci n'existait plus.
A la fin d'avril 1795, les dispositions arrêtées pour l'ap- propriation économique de la vaste église des Augustins à sa nouvelle destination étant à peu près terminées, on put s'occuper de l'installation des tableaux. Briant y convia le Comité départemental des Etudes, l'invitant à venir l'aider de ses lumières le 10 floréal (29 avril), à dix heures du ma- tin, « pour la classification et le placement des chefs-d'œuvre des arts arrachés aux mains barbares des Vandales qui ont essayé de déshonorer la France. » Cette lettre est un des premiers textes où se rencontre l'assimilation devenue ba-
1. Archives de la Haute-Garonne, L.
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nale des excès révolutionnaires aux ravages des invasions. C'est au sein même de la Convention que, dès 1793, Marie- Joseph Chénier avait indiqué le rapprochement en disant à ses confrères, à propos de l'interprétation abusive des lois contre les emblèmes de royauté et de féodalité : « Il pourra se rencontrer des Vandales et des Wisigoths... »
Les opérations durèrent près de quatre mois; elles étaient rendues difficiles par la médiocrité des ressources dont on disposait.
C'est le 17 août 1795 que le Musée de Toulouse ouvrit pour la première fois ses portes au public. Quelques jours auparavant, Briant avait annoncé l'événement aux adminis- trateurs par un rapport en style pompeux, inséré le 26 août suivant dans V Anti-Terro^Hste ou Journal des principes : « Le temple que la ville de Toulouse vient d'élever aux beaux-arts est enfin terminé... C'est à la vue de cet asyle formé sous vos auspices que les Français sauront apprécier le courage qu'ont eu les artistes de cette commune pour dis- puter aux Vandales Robespierriens les chefs-d'œuvre des artistes distingués qui ont illustré la France et cette ville... Quelle gloire pour Toulouse d'être la seconde ville de France qui offre aux artistes et aux voyageurs inquiets sur les dan- gers qu'ont courus les arts, un rassemblement d'objets pré- cieux sauvés miraculeusement des mains des barbares qui ont un moment désolé le